le dormeur et les deux îles

Il était 19h01. Le Bonhomme sept heures manquait à son rendez-vous. Déjà, on suppliait le marchand de sable de venir nous écorcher l’éveil, de nous porter loin sur une mer de rêves.

Il était 19h01, rue Saint-Denis comme ailleurs. La terrasse du Saint-Ciboire avait la chevelure clairsemée, mais les blanches, les blondes et les rousses parvenaient tout de même à se frayer un chemin jusque dans les gorges asséchées de l’île. En arrière-plan, une carcasse de béton, cimetière d’éléphants blancs et de corbeaux, nous rappelle que des rats, jadis, faisaient un pèlerinage bihebdomadaire – jours de poubelles. Ce soir là on a migré en leur honneur. On a migré vers l’Ouest en espérant trouver un peu d’or près de la berge-rue.

Installé un peu en retrait, le dormeur roupillait sur son grand escalier de rouilles étrangères. De ses mains, il effritait les marches, en répandait la poussière jusqu’au bord du trottoir. Il riait puis lançait à notre intention qu’il avait le cœur en sourdine et les mains gercées par le temps toujours invisible, mais il ne suffit que de la rousseur du fer pour redonner à la terre ses couleurs de naguère! Nous le trouvions beau, ce soir-là, dans sa folie passagère.

Ses cernes se mirent à nous raconter les milles voyages que le dormeur avait faits sur les derniers degrés de son escalier scintillant. Ses grandes mains, elles, nous invitaient colorer le trottoir avec la rouille enjouée du dormeur, à y dessiner des châteaux pour le plaisir des passants – les passants nombreux qui, de leur air penché, ne peuvent savourer la rondeur des moments qui passent.

Les deux mains imprégnées de couleur grasse, agenouillés sur le trottoir, nous caressions les aspérités du ciment. Puis il y a eu le tonnerre. La pluie, aussi, venue pour remplir de son vin les rides de la rue asphaltée.