son nom est Guidounne, je suis malade...


Il y a des jours où, même quand le texte de la ville est écrit de travers, j'arrive à craquer un sourire. Depuis le début de la semaine, ces petites affiches, faites maison, se reproduisent. Guidounne court toujours, semble-t-il.

question de dialogue

Fait des mois je suis à la recherche de la langue de la ville, celle qui m’invite à répondre, à converser avec elle – cette langue qui me fait lui murmurer des mots doux, parfois. Je cherche cette langue qui s’accordera avec la mienne, peut-être trop muette ou simplement timide pour le moment, et qui pourra me faire remonter le fil d’un trottoir, d’une ruelle, ou encore les sentiers d’un parc familier, et qui saura me rendre la clarté du jour un peu plus lumineuse, les ombres un peu plus grises. […]

Mais entre toi et moi, pauvre ville maintenant grise de dégel, je crois qu’il y a eu un froid. Tu as sorti tes obligations de ta poche, les as glissées sous les semelles et je me suis mis à coller comme une andouillette dans une poêle surchauffé. Peu ou pas de marche, et du coup peu ou pas de texte pour recoller mon espace, puis des nuits un peu paranos à me demander si ta langue, pauvre ville, n’était plus que des espaces blancs entre des mots que je ne voyais plus. Et pourtant je devrais me réjouir de ces espaces, s’il en est, puisque j’aurais tout le loisir d’y jouer et d’y explorer les pleins et les creux de ma langue sans même me soucier de ton asphalte… mais il me faut ta langue, ma pauvre ville, pour attester la mienne et l’engraisser, pour que vienne sur la page cette voix d’argile qui se façonne et qui sèche pour se briser des mois plus tard. […]

Je t’ai tourné le dos vendredi pour m’enfoncer le nez dans la neige et dans la glace. J’ai vu des petites bourgades le long de la frontière – des qui sentaient l’abandon, d’autres le patriotisme et la manufacture – des stations à essence en panne de dérivés de pétrole. Quand je suis revenu, tu t’es montrée à travers la fenêtre embuée de la voiture, non pas plus belle, mais simplement vivante. Tu avais le pouls silencieux dans ton nuage de blanc, mais tu étais là. Lumineuse dans ton voile de gris, pour la première fois depuis longtemps. […]

silence

Il devait bien être 23h. Le bled dormait. Moi aussi, à l’intérieur. Et pourtant je marchais, dans la rue de mon enfance, en plein milieu, à suivre les courants de glace noire du coin de l’œil. Mains dans les poches, le grand silence. Un moteur au loin, une télévision au volume trop haut, dans le salon du 534 rue L.-G. Que le crissement de la neige sous les semelles. Que ça. Comme de grands coups de cœur dans la plante des pieds. Marcher peut-être comme une manière de me bercer, ce soir-là, en plein milieu de la rue. La mienne. Bordée de ses grands remparts blancs.

quelques jours de ça

Trop de gens à la station de métro, ce matin. Je paresse de longues minutes à regarder les portes ouvertes des wagons. Des yeux qui roulent et des soupirs qui houlent. Parmi ceux qui attendent, sans faire d’histoire, on lit le journal du matin, on tambourine discrètement sur le bord d’un thermos à café. Mais entre les silences solitaires de l’anonymat urbain se tisse quelques secrets, quelques mots doux dans le creux d’un cou, mieux encore dans le duvet d’un capuchon qui chatouille le bout du nez. Se tisse une courtepointe de paroles dont je n’arrive plus à saisir les fils – incapable que je suis, parfois, de différencier cette langue silencieuse qui m’accompagne dans mes rêveries de celle qui m’est donnée par chaque passant, chaque scintillement du soleil sur la neige. Puis ça casse. Une voix en boîte annonce le prolongement de l’arrêt de service pour une période indéterminée. On prend les escaliers, on rouspète, reprend le cellulaire qui avait réussi à se taire jusque là. Je sors de la station – le vent est froid, le soleil si blanc qu’il se fond dans l’étendue pâlotte du ciel. Je n’ai plus qu’à marcher. Par là, oui. Le plus distraitement possible.