le parc des pompiers, une parenthèse


Ce parc, il ne parle pas beaucoup. C’est le genre de parc qui glisse sous vos fesses un banc trempé de rosé, vous laisse être là sans prendre de place. Le parc des pompiers, c’est un parc de solitaire qui, les dimanches après-midi, se permet d’inviter la famille dans une spirale de robes fleuries, d’accents espagnols et rieurs. Mais lui, il ne dit pas mot. Il écoute.

Le matin du 1er, j’y suis entré en débouchant par la ruelle des politiques et des enfants, cette ruelle où on revendique la démission de Harper et de Charest, où on veut le retrait des troupes canadiennes qui se trouvent en Irak et en Afghanistan. On y trouve aussi un chat roux, quelques briques empilées et, jusqu’à tout récemment, un panda en peluche en train de moisir contre un mur. Mais c’est peu dire de ce couloir qui vous bombarde de graffitis et de dessins à la craie – il reste toutefois essentiel au calme qu’on peut ressentir dans ce parc timide, les avant-midis.

Je me suis assis, à moitié endormi dans le parfum de ces fleurs que je suis incapable de nommer. Ces fleurs n’ont de mots que pour mes yeux… pour le bout de mes doigts, quand le cœur me prend de retirer ces éclaboussures de terre alourdissant les pétales si légers – la pluie de la veille avait prise des allures de pioche… pour les narines, mais c’est alors tout le corps qui en profite.

Le parc des pompiers n’est pas bavard, c’est un vieux jardinier qui vous invite à prendre un verre de lenteur avant de vous goinfrer de personnages et de grandeurs au parc des Faubourgs, de l’autre côté de la rue Ontario.

médéric.fm


Médéric-Martin, ce matin-là, m’a faire tendre l’oreille. Il n’y avait pas grand-chose, sinon du silence et des grésillements dans ces écouteurs abandonnés. Par jeu, je me suis accroupi, puis assis sur une pierre, regardant le carré de sable occupé par des modules de jeu. Le sable était encore piqué ça et là par les semelles des gamins qui se prennent pour Usain Bolt quand leurs parents ne leur tordent pas l’oreille gauche. La pluie avait donné au sable des allures de cassonade.

J’ai syntonisé mon récepteur intérieur sur médéric.fm, et j’ai attendu que ça monte doucement comme des larmes ou une marée paresseuse. J’ai entendu les pas du vieux joggeur s’harmoniser aux pas lourds du grand danois qui, avec sa maîtresse, vient délier ses jambes de mannequin entre les arbres et les bancs de parc. J’ai entendu la fontaine couler à nouveau et cette vieille dame chinoise, tout de blanc habillée, nourrir les pigeons. J’ai entendu le vent glisser sur les feuilles et entre les pieds de la vieille qui, lorsqu’elle s’assoit sur les grands bancs de Médéric, ne touchent plus à terre. Alors, avec son sourire et sa peau tachée par les années dures, elle prend les airs d’une poupée de porcelaine.

J’ai entendu des devoirs d’enfants glisser contre les clôtures rouillées, des mauvaises blagues lancées par les riverains du coin. Puis ça a été le tour des balles de tennis et des raquettes, de l’autre côté de Rouen. Mais à travers ces sons, une image. Sur fond de rouge et de vert, traversés d’une ligne blanche, une vieille bottine de cuir restée là pendant des mois, tout l’hiver, sans tapeur de balles pour venir déranger sa sieste. Des grésillements et, à nouveau, la solitude.

en marchant...


« En marchant, rien ne se déplace vraiment: c'est plutôt que la présence s'installe lentement dans le corps. En marchant, ce n'est pas tant qu'on se rapproche, c'est que les choses là-bas insistent toujours davantage dans notre corps. Le paysage est un paquet de saveurs, de couleurs, d'odeurs, où le corps infuse. »

- Frédéric Gros, Marcher, une philosophie.

bleu ciel, bleu marine


Cours, Guillaume! Cours! Ces trois mots ont fondu à travers les mailles de la clôture en raclant un fond de gorge. Ledit Guillaume, la trentaine facile, n’avait rien d’un athlète : un corps qui ressemble à une boule de crème glacée, coulant un peu sous le soleil, montée sur deux pattes de cigogne. Il courait avec les coudes bien serrés contre le corps, les poings fermés bien dur. C’est à croire qu’il retenait son souffle en courant du marbre au premier but, comme pour se donner un air de légèreté. Il échouait, évidemment, mais il était beau à voir sous sa casquette de Pennzoil tachée de sueur. Guillaume a été retiré au deuxième but après le bunt peu convaincant de David.

C’était un mardi soir du mois de juillet et l’équipe des chandails bleu ciel jouait contre l’équipe des chandails bleu marine. D’un côté à l’autre du terrain, on s’en lançait des vertes et des pas mûres pendant que le batteur était dans’ bouteille (dou dah, dou dah!) Ici et là, dans les estrades, quelques canettes de Bud attendaient le changement des équipes et, quand ça arrivait, on tapait amicalement la fesse gauche d’un coéquipier avec sa mitt. Oui, mitt et non gant de baseball, car ce dernier n’est pas en mesure d’évoquer l’odeur de fond de remise, de poussière, de sueur et de vieux cuir portant l’empreinte de la main de son propriétaire – c’est un gant de baseball avec une histoire.

Ce mardi soir-là, dans la lumière qui crevassait l’horizon du quartier, j’ai compris que ces gars, chandails bleu ciel et bleu marine, mais portant les mêmes pantalons gris, ne jouaient pas au baseball pour une question de sport. On ne comptait pas les points, seulement les caisses de 12. On ne courait pas à fendre l’air, Guillaume n’est pas de cette trempe. Quand on contestait une décision de l’arbitre, c’était pour régler de faux problèmes autour d’une énième bière, le soir venu.

Ces gars-là jouent au baseball, avec les sourcils froncés, le sourire en coin et la palette de la casquette bien droite sur le front. Et de temps en temps, ils s’arrêtent, posent leur mitt sur leur poitrine en attendant que l’arbitre, puis Guillaume, essuient leur front dégoulinant de sueur. Puis quand les habits deviennent trop poussiéreux, que les deux équipes ne font plus qu’une, on sait que c’est l’heure de rentrer… mais seulement après une jasette d’une heure ou deux dans le stationnement, derrière le terrain de baseball.

les astronautes de l'espace vert


C’était d’abord le ronron des moteurs qui s’est mis à gonfler dans les oreilles. Puis est venue l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, l’odeur de l’huile mélangée à celle de l’essence, accompagnées ici et là d’un petit nuage bleu – ou deux.

Chacun leur fonction : un gars qui traînait la tondeuse du mieux qu’il le pouvait autour du carré de sable des 2 à 6 ans, puis le long de l’allée principale du parc; une fille avec des veines grosses comme ça dans les bras, des gants immenses et le coupe bordure devant bien faire trois fois son poids (ceci dit, Weed Eater sonne plus gentiment à mon oreille, tout en rappelant le calme des ruminants si on opte pour une traduction mot à mot : Mangeur d’herbe… et l’idée d’un ruminant qui ronronne me fait bien rire); une troisième qui file à toute allure sur le terrain de baseball avec son rutilant tracteur à gazon…

Tous trois, avec leur protège-oreilles et leurs immenses lunettes de plastique, sans parler de ces dossards qui rappellent la tête de David Bowie dans le vidéoclip de Space Oddity… Ils me donnaient l’impression de patauger dans un parc qui n’était plus le mien, vaporeux. Ceux qui travaillent sont parfois de bien drôles de personnages : les astronautes de l’espace vert, peut-être, le temps de refaire une beauté au parc.

café et popsicles


Je ne pensais pas que c’était pour être si difficile. L’absence de la brigadière du coin je veux dire. Je pensais qu’on aurait pu se dire au revoir avant de se quitter pour l’été – pas qu’il y ait des histoires entre nous, ce serait un peu tordu, mais elle avait ce don de donner le ton à la journée, de l’illuminer avec son dossard jaune à bandes argentées. Madame Tremblay, avec sa voix on the rocks et ses lunettes mauves, elle qui m’a confié, le 1er juin alors qu’on se gelait les couilles à l’extérieur, qu’à ce temps-ci de l’année elle donnait des popsicles aux gamins qui traversaient à son coin de rue. À la blague elle m’avait dit qu’elle devrait leur donner du café, avec le temps qu’il faisait! C’est ce qui me manquera le plus. Ces histoires simples, parfois un peu étranges mais jamais déplaisantes. Les histoires de la brigadière, c’est aussi un pan de la vie du quartier empaquetée dans des mots convenus mais qui surprennent toujours. Mais avec ses 34 ans de service, son genou qui la taraude et sa canne qui ne la quitte plus, je me demande si septembre, quand il reviendra, va la ramener. Pour l’instant, je sais que les matins, au coin des rues Ontario et Rouen, sont un peu plus gris.

du sable entre les orteils


Le soleil tombe sur Homa Kingdom et le parc Préfontaine, Raymond de son prénom, est un des derniers endroits en-dessous de la rue Hochelaga qui se voit gratifié d’une langue de soleil. C’était jeudi passé, mais le parc, filtré dans le tamis de la peau, s’accorde encore au présent. Le petit, les joues lourdes mais le pied assuré, va sur la petite passerelle qui lie les deux sections du module de jeu. De sa main pas plus grosse que ça, il serre l’index de son père pour ne pas tomber dans cette rivière qui s’ouvre sous lui – rivière qui, dois-je le rappeler, est peuplée de poissons à dents de scie et de requins-marteau. Une fois le ponceau bravé, il s’accroche à son père pour ensuite atterrir dans le grand carré de sable. Il y plonge les mains, s’en envoie un peu dans le visage – ça fait partie du rituel. Après la construction de quelques châteaux peuplés de princes et de méchantes reines, c’est le retour à l’appartement, de l’autre côté de la rue. Les souliers du petit sont secoués sur le balcon et débarrassés des grains inopportuns, mais pas ceux du père. Peut-être est-ce sa façon à lui de rester gamin sans qu’on le sache, en amenant le parc en douce… dans ses souliers.

les joueurs de balle molle s'abritent sous des parapluies de golfeurs


Vers 23h00, jour ouvrable, mais qui se ferme peu à peu. À ma sortie de la station de métro, je déboule dans le parc Préfontaine qui, à cette heure-ci, est aussi endormi qu’un matou. N’empêche, ci et là ses moustaches sont remuées par quelque pluie et ventouille délicates. Près du chalet, une adolescente en cavale imaginaire se craque une canette de bière, laisse courir son mascara avec l’eau qui lui ruisselle sur le visage. Un peu de mousse de Bleue sur l’asphalte rongé par l’ennuie. Une pluie grasse me tombe dessus, me fait coller au sentier du parc, comprendre le silence enjoué de ces habitué(e)s de la balle molle qui se trémoussent sous un de ces immenses parapluie de golfeur. M’ont l’air d’une bande de pingouins… Leur banquise, rien de moins que ces estrades de bois un peu mal foutues, mais confortables. Me vient l’odeur du sable mouillé et des jeux d’enfants qui, de l’autre côté de la rue, ne dorment toujours pas et ne demanderont pas d’histoire avant d’aller au lit. Une cycliste passe mon chemin, essoufflée mais rieuse avec sa tête d’ananas. Les balançoires vides grincent puis je me déverse dans la ruelle Winnipeg.