errant en somnambule...

« Errant en somnambule d'un vestige à l'autre sans s'y attarder, non par impatience d'arriver à destination, mais désir de se perdre dans l'idée que moins il s'y retrouvera plus il a de chances de rester fidèle à la vérité d'une vie qui présente au regard rétrospectif tous les signes de l'égarement. »

- Louis-René des Forêts, Ostinato, p. 126

le rectangle blanc

Les aspérités du banc de ciment s’en prenaient aux fils de mon jean. Métro Joliette, une fourmi cherchait la bonne voie à prendre, en se tortillant sur le rectangle blanc d’un ticket de métro. Les tarifs et la fourmi. La fourmi et les vibrations du sol. Les wagons qui sifflaient une odeur de bois et de caoutchouc. Le rectangle blanc et la fourmi, envolés.

machine à coudre

Entre Moreau et l’Espérance, on recousait la rue à force de bitume. La gorge piquait – une seringue aussi, quelque part sur un balcon. N’entendre plus rien. Les machines tachées de goudron et leur clameur. Sous la voie rouillée de la CP Rail, rue Ontario, le froid d’octobre prenait sous le manteau. Jointures qui blanchissaient dans les poches. Le tintement d’une clochette. Me suis tassé contre les blocs de pierre à ma droite, ai remarqué les barres de fer à ma gauche. Semblant de clôture. Saisi au vol le merci en cascade d’un casque rose, de mitaines mauves et d’un foulard bleu. La ferraille mal graissée d’une bicyclette plus-que-trentenaire. Ce soir du 23 octobre, devant cette grande fenêtre qui venait de s’ouvrir, j’ai ralenti, sans plus me faire d’attente. Des pas et des souffles plus tard, j’allais mettre un peu d’ordre dans mes impressions – pas trop, tout de même – dans la cours de triage du CP Rail.

cette manière de lenteur

Ses cheveux bouclés, encore humides, s’échappent d’une casquette des Red Sox. Sa main coule sur la rampe d’aluminium et ses pas s’en vont, pizzicato, dans l’escalier – une silhouette frêle qui s’élève dans une tache de gris. La dernière marche atteinte, ses yeux noisette attendent, soupirants mais rieurs.

Son père la rejoint, se penche à hauteur de casquette et d’oreille – murmure. Le coin des yeux ridé comme ceux d’un enfant dans la lumière du jour.

Chacun cette manière de lenteur qui s’accorde. Station Berri, une main épaisse enveloppe des doigts blancs et fragiles, tandis qu’ici on se bouscule, pour quelques minutes en moins.

Cheng

Échoué sur les berges intérieures de l’Université, à lire les poèmes enveloppants de François Cheng.

Des pas, beaucoup, qui se tordent comme la houle. Des pas, beaucoup, disjoints du regard qui les porte.

Autour, les travaux à remettre, les nouveaux gadgets et les projets à venir. Des cravates des casquettes. De la soie et du denim. Beaucoup de mots durs cachés dans la douceur d’un murmure.

Des bises, des accolades malgré tout.

Toujours des pas, beaucoup, des voix qui se mêlent et qui claquent. Moi, silencieux je l’espère, à admirer les berges intérieures de l’Université. Un flot pressé de mains et de sacs, des pieds, encore des pieds et des regards absents.

Soudain une petite motocyclette verte, dans une main pas plus grande que ça, qui passe entre les pages de Cheng et mon regard. Un moteur imité dans le rose d’une joue. Un enfant aux yeux rieurs qui m’envoie la main, à moi, simple dune.

(dé)géométrie

« À dire vrai, songe l'homme, rien ne vient avant ni après. Tout se tient. Tout vient ensemble. L'espace façonne le mouvement de ceux qui le façonnent afin de s'y mouvoir. Le mouvement des hommes a donné forme aux espaces tout comme le vent, la mer, les vagues, les fluides, les laves ont façonné les reliefs. En retour, la morphologie a modelé, sculpté, orienté les mouvements humains. Par ici, du fait de cet obstacle, rien ne pouvait passer. Là, en revanche, un col, une vallée ménageaient de possibles parcours. Et du reste, tout mouvement n'est-il pas, finalement, un espace qui se transforme? Un changement de géométrie? Une transfiguration? Tout espace, par ailleurs, n'est-il pas un mouvement suspendu, arrêté dans sa course, tout comme les formes géologiques sont des flux de magma solidifié?

L'homme est arrivé au village. Il déchiffre, effacé, le nom du lieu. Rien ne bouge. Depuis longtemps, le village est abandonné. L'homme s'arrête. S'assied sur une pierre sur laquelle il se pose chaque fois qu'il revient. Sort sa gourde, un saucisson, un morceau de pain. Il respire. Rien ne se passe, rien, si ce n'est que par sa présence, par son regard, il permet à ce lieu perdu, où nul ne vient durant des mois, de vivre à nouveau. Et ce lieu sans âme qui vive, lui permet de traverser cet instant de quiétude. Le temps d'une marche, le temps d'un arrêt, un homme et un lieu ont lié connaissance. L'homme regarde ce lieu. Il lui semble percevoir le regard de celui-ci. Et ce lieu, peut-être, lit-il dans les pensées de l'homme. »

- Alain Médam, «Traversées», in L'étonnement et la réflexion. Retour vers la philosophie, p. 83

siesta

Le soleil, dans sa dernière minute ronde, révèle à mon regard la silhouette d’un enfant endormi sur la glissoire du module de jeu. Une main et un pied pendent au-dessus d’un château de sable.

Mon ombre nonchalante s’avance silencieusement dans le parc. Une partie de balle molle derrière la clôture froide, résonne d’une chaleur de fête. Des airs de salsa et de merengue, de bachata. Des rires et des pas de danse, dans le sable qui borde le marbre.

Un banc de parc, au-delà de la pataugeuse, comme une barque à la dérive, emporte une voix grasse et pigmentée comme du lapis – des accords de guitare et des feuilles qui, encore, refusent l’approche de l’hiver.

Mon regard empiète sur les courses imaginaires d’un gamin qui chevauche fièrement son Big Wheel. Soudain sérieux, il pétarade les notes d’une Oldsmobile. À la croisée du sentier, ses cris de victoire se mêlent à mes rires : « T’as gagné, je m’avoue vaincu! »

moutarde et saucisse

Depuis près d'une semaine, l'image de ce golden retriever qui s'amusait avec un chien saucisse, dans le parc à chiens de la rue D, en le mordillant en plein milieu du corps.

J'en suis encore troublé.

c'est qu'ils couvent

Lectorat infime, je te néglige. Si je n'ai que peu de mots présentement, c'est qu'ils couvent, souriants, sous le sable chaud de la plage. Je peux cependant t'offrir ceci, un noeud qui démêle:

« On a cédé sa place à l'ombre, par fatigue, par goût du rond. [...] Autrefois, quand la Terre était solide, je dansais, j'avais confiance. À présent, comment serait-ce possible? On détache un grain de sable et toute la plage s'effondre, tu sais bien. »

- Henri Michaux, La Ralentie