ponts

On a recousu la grande plaie de fer qui survolait mollement la Lièvre, à force d’asphalte et de ciment. Tout juste depuis hier, le cœur rompu du village s’est remis à battre. Un pontage pour une durée de vie prolongée, mais toujours limitée. À quand le prochain?

Le cœur qui agrémentait l’affiche d’Assad n’est plus qu’une pointe rouge surmontée de deux-par-quatre endoloris. Chez Rose-Marie on affiche la vente de cartouches d’encre pour la rentrée des classes. Rendez-vous de motards à l’Alexandra, chansonnier en prime : le Lite serait bourré de mineurs une heure plus tard.

S. m’a appris qu’on allait bâtir une trâlée de logements dans le douillet des chemins Dollard et Lépine. Annonçant autrefois un champ d’exploitation de l’Hydro, on a maintenant droit à un Pharmaprix, un Canadian Tire au cœur qui pompe l’huile, un Maxi, un Caveau et des boutiques à l’espérance de vie minime. Le motel Pignons verts. Derrière, le cimetière qui se remplit de jeunes de vingt ans à peine.

Bientôt un Wal-Mart, dans le sud du bled.

La maison qui appartenait autrefois à mes grands-parents, sur le chemin de Montréal, a été remise en vente. Pour un instant je me suis imaginé la côte – que je devinais derrière la maison – menant jusqu’au plate. Mes terres d’enfance noyées dans un marais de Ducks Unlimited.

*

Ici une passerelle surplombe la Lièvre. Le barrage de la Maclaren abat de grands moutons blancs et jaunâtres dans la rivière. Près de la berge – à grandeur d’enfant on dirait une falaise – un cimetière à paniers d’épicerie. Sous le pont Brady, des guerres de tranchées laissées à la paresse de la Ville. De cette passerelle, une ancienne glissoire à billots de bois, on voit tout ce qu’est devenu mon coin perdu: une banlieue adolescente, criarde et comme sur des échasses moulées dans un jean griffé.

Heureusement, sous mes pas, il y a le craquement du bois: les murmures et les draves du siècle passé.