Il me semble que ces derniers temps j’ai confondu rêve et rêverie, trop absorbé dans des lectures qui me faisaient dériver dans un chemin qui m’apparaissait pourtant de plus en plus clair. Comme à tous les trois mois, il arrive ce temps où je n’ai plus le goût d’écrire, en plein milieu de la saison. Depuis des semaines je lis de façon boulimique fouinant ça et là du côté de Fargue, Delerm (et encore Delerm), Ponge, Sartre, J.-L. Chrétien, Sansot, Augé et Proust, qui comme un chapelet prendra son temps pour couler sous mes yeux qui voient plus flou qu’avant. La liste s’est allongée aujourd’hui et je souris.


Il m’apparaît maintenant clair que l’insomnie n’est pas question de fatigue, mais de surcharge – la surcharge ne me plaît pas quand vient le temps d’écrire. La fatigue que je cherche – et que je connais pourtant par cœur – allège les choses, lie leur lourdeur dans une luminosité contemplative. Cette fatigue enveloppante se retrouve dans la brume du regard, après le travail, passé les heures vigoureuses du soleil qui se laisse aller sur le côté, qui nous invite à le suivre dans sa grande paresse. Cette fatigue-mortier se trouve dans les parcs ou sur la terrasse d’un café ou d’un petit bistrot qui ne pousse pas dans le dos, une terrasse où les tables usées et mâchouillées par les intempéries invitent à la caresse rugueuse d’une main raidie par l’humidité.

Ces derniers mois j’ai couru après des rêves qui flottent sur une mer intérieure, sans poids, mais il m’est revenu à l’esprit, en regardant un gamin botter un ballon de soccer – plus loin que je ne le ferais – que le rêve, pour être senti, devait conserver sa part du poids des choses. Dans ses Leçons américaines, Calvino citant Valéry (et on me pardonnera de citer de mémoire), disait qu’il fallait être léger comme l’oiseau et non comme la plume. À relire ce qui se trouve ici, maintenant, il me semble que j’ai affaire à un oreiller sur le point de rompre.

L’air de l’automne se pointe déjà durant les fins de soirée. Ce soir, j’avais les orteils blanchis par les courants froids qui se hissaient comme des couleuvres sur les estrades d’un terrain de baseball silencieux. Les coudes appuyés sur les genoux, livre en mains, le dos endolori à force de trop lire durant les jours de soleil, j’ai remarqué qu’une mouche, toute petite, s’était posée sur ma jambe. À ce moment il y a eu ce silence que j’aime, ce voile qui tombe sur les environs, qui me sort de moi-même pour savourer ce qui d’habitude repousse ou qui n’accroche pas le regard. Le livre m’a glissé des mains. Je n’ai même pas tenté de le rattraper : il a échoué près d’une capsule de bière avec un bruit mat. La première de couverture embrassait les derniers rayons de soleil qui agrémentait le ciel violet. Les cliquetis d’un collier de chien, des pas dans l’herbe. Les beaux yeux verts de J.