l'équipage

Mercredi soir, marche habituelle sur le dos fatigué d’Hochelaga. Je n’ai pas eu le cœur de prendre l’autobus, d’autant plus qu’il était bondé – le coût de l’essence a dû y être pour quelque chose. J’allais dans la brise comme un nuage endormi.

Le décor me dictait de belles choses. Des murmures de vieux et des cris d’enfants, les uns se vantant d’avoir une nouvelle canne, les autres tout fiers du bâton de hockey ayant autrefois appartenu à leur père, un Sherwood à la palette tout enrubannée de noir.

C’était à l’heure des ombres qui allongent, du vent qui glisse en douce de la rue aux ruelles, des ruelles aux appartements. Ce vent qui chatouille les mollets fatigués des travailleurs engoncés dans leur Chesterfield, bière froide au poing.

Chez Jimmy le souper était servi. Quelques clients, pour la plupart retraités, souriaient à l’approche d’une bouteille de rouge offerte par le patron. Des amis de longue date tenus par les liens du palais et de l’estomac. Chez Beauchesne, un serveur humait le vent en s’essuyant les mains au revers de son tablier. Échange de sourires discrets accompagnés d’un petit hochement de tête. Quelque part, un chien bouffait des ordures.

Puis le silence. Il ne faut pas trop y penser au risque de le perdre – un moment privilégié où la lumière se met à couler de chaque fissure du trottoir, de chaque regard cerné et pétillant de la fin de journée.

Dans cette allée à la peau craquelée, bardée de chaleur humaine, le drap contour avait fait place à une dizaine de serviettes de bain délavées comme autant de fanions pastel. J’aurais voulu courir dans cette ruelle, aller à bord de ce bateau dérivant dans une mer de gris, serrer les mains épaisses de l’équipage, rire, m’émerveiller des histoires qu’on conterait en buvant un coup.

Mais j’étais déjà ailleurs et le phare me ramenait à l’ordre pour me frapper de la réalité. Je devais rentrer au port.