en cette période de foot

Depuis près d’une semaine je traîne ce moment au fond de ma poche. Ce n’est rien d’extraordinaire pourtant – qu’un caillou sale dans l’assiette d’un chercheur d’or, une rivière de Californie maintenant terne. La moiteur du mercredi soir y était pour quelque chose, je crois. Le moment s’est collé à ma peau, mais il y a toujours un temps où la houle s’empare des secrets sédimentés du littoral.

J’avais noté les éléments importants de la scène sur un coin d’enveloppe, mercredi passé, de peur de perdre les mots. Ils restent pourtant : quelque part dans la région du cœur – oui, le cœur et le pétillement qu’on l’y connaît – avant de se laisser couler sous la peau, jusqu’au bout des doigts et de la langue. Jusque sous les paupières.

Je sentais mes pieds rudes qui se réconfortaient dans la chair molle de mes semelles. Mon sac pendait dans mon dos comme un enfant sauvage – endormi. Au coin de la rue on s’allumait une cigarette, en prenant bien garde de couvrir l’allumette dans les plis ombreux d’une main noueuse et tremblante. On traversait la rue en se hâtant faussement. L’orage n’arriverait pas jusqu’ici, mais nous laissait déguster le taffetas de sa robe de bal.

Des cris se sont mis à couler entre les barreaux d’une clôture qui se permettait de rouiller avec classe. Un claquement métallique envoyait une Rawlings planer dans le champ droit. Des bruits de gorges ont filés entre les mâchouilles de gommes et de tabac. Est venu le bruit mat de la balle dans le gant. Le bâton était maintenant à l’autre équipe.

La semaine précédente, un gamin de neuf ans à peine m’avouait qu’il n’avait jamais joué au baseball. La tristesse lumineuse qui recouvrait le parc à cet instant, coin Rouen et Nicolet, n’était peut-être pas étrangère à cette confession. Ici l’herbe était grasse et gracieuse, appuyée sur son côté, attendant qu’on lui amène le fruit d’une vigne sage. Ça et là, des bicyclettes gisaient sur le vert tendre. De grandes épaves silencieuses qui recueillaient les rayons du soleil mourant.

Dans une estrade improvisée, on partageait un verre de vin, on laissait une clope murmurer ses lambeaux de fumée en discutant Tolstoï et Sábato. Des regards qui soupirent et se laissent mourir sur des noms gravés à coups de canif – des noms gravés à coups de cœur. Un peu plus loin ça s’est mis à rire.

Un ballon argenté roulait sur l’herbe et s’amusait à caresser des pieds couverts de baskets usées. On dansait avec le ballon, on changeait de partenaire. Il y avait des accolades, des mains qui claquaient ou se frôlaient. Une attitude flottante de fin des classes, des rivalités de cour d’école qui, le temps d’une partie, allaient au placard.

Dans dix ans on serait encore au même endroit, poussant le ballon du bout du pied avec sa fille ou son fils, en lui racontant les soirées entre amis, les mauvais coups faits durant le secondaire. Les amis perdus et les larmes versées. Mais on se gardera de la nostalgie : c’est le plaisir de ces yeux pétillants qui comptera.

Le ballon s’était logé dans les côtes de la clôture. En venant le récupérer, un ado un peu trop bronzé par les machines me proposait, tout sourire, d’aller les rejoindre. Il était reparti aussitôt, sa tribu l’attendait.

J’ai poursuivi mes pas vers l’ouest, en souriant. J’avais un caillou à polir.