drap contour

Ça aurait pu être banal. Il aurait pu se retourner, pour humer le parfum désormais subtil des lilas, saluer un ami partageant café et blagues grivoises avec son voisin de palier. Sourire à la vue d’une gamine jouant au foot en jupe longue, dans la chaleur collante d’une ruelle encore à peine éveillée. Peut-être était-ce une impression de déjà vu, collée au cœur, qui se permettait de vagabonder dans un décor d’asphalte et de colimaçons rouillés.

Il n’y avait rien de tout cela, pas cette fois. Tout était à sa juste place : les plantes vertes prenaient un bain de soleil sur le balcon, un chat orange se taillait sous un escalier de bois pourri. Un verre de rousse perlait sur la table vitrée d’une terrasse. Quelque part une enfant pleurait – son père aussi.

C’était surtout ce drap contour qu’il regardait, épinglé sur une corde à linge ventrue, tout de blanc gonflé par la brise déjà chaude du matin. Pourquoi s’était-il retourné de ce côté-ci de la rue plutôt que de l’autre où, dans les herbes hautes, on s’échangeait des mots doux sous l’ombre bienveillante des érables argentés?

Il est reparti en silence, la moiteur de l’air courant sur ses joues, partant à la découverte d’un ailleurs tout proche à bord d’un trois-mâts de papier jusque-là enfoui dans ses souvenirs. Peut-être allait-il jeter l’ancre «dans la grande clarté immobile du passé», comme l’écrit Barbéris, dans quelque archipel de souvenirs concassés, un drap contour hissé sur le mât de misaine.