du fond de la brioche

Une journée un peu trop chaude de la mi-février, passée dans les retailles intérieures de la ville. Du temps à tuer avant une conférence en fin de soirée, je me suis laissé tenter par un allongé et quelque croissant. Encore que, tuer le temps, c’était un peu trop brutal pour cette fin d’après-midi tranquille. Il s’agissait plutôt de m’en accommoder, dirait Sansot, sans me laisser bousculer. À la limite, c’est tout ce que j’aurais pu faire : un croche-pied au temps, au fond de la Brioche, avant de me replonger le nez dans la Nouvelle barbarie de Chamberland.

L’espace d’un peu plus d’une heure, j’ai eu droit aux questionnements des employés – à ma droite, la cuisine. De grandes questions en fait, qui m’ont touché, sans ironie, droit au cœur. Que faire avec les croissants qui sont restés collés sur la lèchefrite, qu’est-ce qui se passe avec M. qui n’est pas rentré travailler, as-tu besoin que je reste un peu plus longtemps – on va tomber dans le rush. Un cuisinier de la première heure, un peu taquin, a eu le temps de placer quelques coups de fil, à la fin de son quart de travail. Je devrais même dire son shift – lui disait chiffre. Il a aussi placé une orange froide dans le cou d’une aide cuisinière venant juste de se faufiler entre les tables pour « aller en arrière ». « Pour la bonne santé! », qu’il lui lance.

En levant les yeux, j'ai remarqué que, dehors, le temps doux avait laissé place à la chute de grandes plumailles de neige. Tout au fond, près de la porte d’entrée, on discutait de projets à venir, peut-être même d’écriture ou de la vie en général, en tendant les lèvres vers un verre de blonde. Ce n’était pas la rousse de Delerm, mais elle avait suffit à illuminer le gris du jour à travers la fenêtre. C’est tout le bal du jour qu’elle menait, cette bière, avec sa robe dorée et ses dentelles de blanc. Quelques mots glissés dans le carnet, des mots qui, je sais, ne m’appartiendraient plus. Il n’y avait plus qu’à me taire. Me contenter d’être là, dans ma parenthèse de ville.