Question de fatigue/question de chantier

Il y a quelques temps (le 5 juillet 2008 pour être précis), j’écrivais ceci à la suite d’un brouillard de mots : « La fatigue que je cherche est peut-être moins physique que textuelle et on se permettra de se laisser glisser doucement, de faire du texte l'espace faisant subir une fatigue (au sens mécanique) au matériau du monde. »

Étant retombé sur un Post-it qui me criait d’aller lire Sansot, au milieu de l’été, je me suis mis à le faire, notamment sa Poétique de la ville et plus récemment Du bon usage de la lenteur. C’est ici que ça devient intéressant – du moins, à mon sens. Voilà la citation, pages 40-41 en édition Rivages poche.

« Est-il juste d’écrire qu’avec mes camarades je flânais? La flânerie est souvent conçue comme une activité qui ne prête pas à conséquence et qui a pour seul effet de mettre un peu de rose aux joues de ceux qui s’y adonnent. Il est vrai que nous ne dérivions pas dans l’insouciance, qu’à la différence d’un voyageur pressé ou d’un travailleur, nous ne nous fixions pas de but, que le chemin parcouru, reconnu, importait plus que le terme dont nous n’avions pas une idée précise. Seulement, à la différence d’un flâneur frivole, nous avions le sentiment que nous vivions une aventure mémorable et que nous mettions en jeu une partie non négligeable de notre être. Notre légèreté n’excluait pas une certaine gravité.


Nous irions à l’extrême de nous-mêmes et nous l’éprouverions grâce à une fatigue librement consentie et saluée avec les égards qu’elle mériterait. Pour être tout à fait juste, il nous fallait aussi et surtout « fatiguer » la ville, non point par cruauté ou pour la prendre en défaut, mais pour qu’elle nous livre enfin son vrai visage, qu’elle refusait par ailleurs à la plupart de ses habitants ou de ses passants. »


En bref, un premier degré de fatigue qui solidifie et rend lumineux les instants vécus : une fatigue-mortier qui pourrait tout aussi bien s’apparenter à la lumière dont il est question chez Christian Bobin, moins les références religieuses. S’il y a religion, elle est bien pour soi et en soi (rappelons l’origine : relier). Dans le moment de l’écriture, la nécessité de « fatiguer » le moment vécu, souvent en milieu urbain en ce qui me concerne, pour le rendre véritablement accessible, le rendre lisible et lisant.

Fatiguer, tordre le moment vécu c’est aussi le risque (et je dirais ici la nécessité) de le rompre – risquer aussi une perte d’équilibre qui se rattrape constamment : c’est aussi faire le pari d’une marche et d’une dé-marche. Il faut opter pour une vision kaléidoscopique, un minimalisme, un impressionnisme.