opium et limonade


Le grand vent qui secouait les branches est venu me quêter une promenade. Une promenade dans ce cas-ci et non une marche, peut-être parce que le premier évoque mieux mes activités de petit prosateur qui se fait mener par le bout du nez, finissant sans aucun doute, lorsque la boucle des pas est bouclée, devant un verre de limonade fraîche, qu’il faudrait, bien sûr, acheter à un garçonnet qui se lance en affaires au coin d’une rue et d’un ruelle : cinquante cennes le verre – seulement si on lui promet de faire de la publicité. À bien y penser, le traditionnel « m’en vais prendre une marche » fait résonner la voix de celui qui en a marre et qui s’arrache aux crises de son logement. Je disais donc : une soirée de grand vent.

Les chats rentraient dans leurs cours, se blottissaient contre l’opium des bords de fenêtres. Au parc Lalancette, des gamins critiquaient leur famille de fous, se lançaient des injures au visage, avaient du sable plein les yeux et de la boue plein les joues – le mascara des pauvres. Deux sportifs de salon se mettaient au frisbee, près de Rouen. Sautaient comme des chiots aux pattes trop courtes pour se laisser rouler dans l’herbe encore jaune, les quatre fers en l’air et la bedaine velue – autour du nombril seulement. Au même endroit, l’an passé, on y allait d’une coupe de rouge discrète dans les estrades, on grillait une clope puis deux en jasant Tolstoï et Sábato. Il faut laisser la saison mûrir.

Au retour, après mon tournis de rues et de ruelles, s’est présentée, à ma droite, une ouverture. Rien d’extraordinaire. Qu’un petit rien au bord du chemin pour me faire lever les yeux vers le soleil couchant. Un grand rideau d’or et de vert tendre, de cordes à linge muettes et des galeries où flânait l’odeur du bon tabac. Suis retourné jusqu’à ma Darling pour retrouver les bras de mon aimée.

À mi-chemin, une fillette m’a demandé si je savais l’heure. Non, pas vraiment. Probablement sept heures et demi, pas bien plus! C’est ce que je lui ai répondu alors que je savais que l’heure ne comptait pas. J’aurais dû lui répondre qu’il était trop tôt pour rentrer, qu’elle avait encore le temps de marcher main dans la main avec ce garçon qui l'accompagnait, un peu gêné, qu’elle devrait profiter de la lumière pendant qu’elle était encore belle sur les gaines de caoutchouc des fils de l’Hydro… Elle était déjà partie avec son Roméo. Moi je souriais, simplement.