montréal tranquille


Ce n’est pas le genre d’automne qui s’affiche sur un calendrier. C’est plutôt celui qui se glisse sous la porte, un matin du mois d’août, ou qui se faufile par la fenêtre guillotine qu’on a laissée ouverte tout l’été. C’est un automne qui vous pousse à rester sous les couvertures, à faire la grasse matinée jusqu’à dix heures et l’amour jusqu’à midi, puis tout à coup on se trouve à marcher avec cette femme belle - mais belle! - en allant par là, simplement par là, se disant qu’on ne veut pas de cette ville qui se déballe avec le fracas dont elle est capable et qui finit toujours par déverser son fatras. On cherche les rives intérieures du Montréal tranquille. Déjà, les vieilles grimées de la rue Dézéry disparaissent derrière des portes vitraillées, se laissent désirer au bord de leur fenêtre en matant les passants. Les rideaux de dentelles faits main font sourire leur jeunesse passée, comme autant de voiles de jeunes mariées.

On marche en silence, en empruntant les ruelles et les parcs, pour se gorger de leurs passants, de leurs habitants et de leurs secrets si la chance nous sourit. Parfois on se permet d’inscrire, sur les pages quadrillées du carnet, quelques mots qui contiendront en germe un visage, une voix, un geste - des sensations en lambeaux lors des jours difficiles.

Certains vont sur les trottoirs, pendus à leur cellulaire, s’absentant d’eux-mêmes et du corps chaud de la ville. D’autres dorment à demi, emmaillotés dans des couvertures humides et tachées, à l’entrée des magasins d’antiquités ou les pawn shops d’Hochelaga Kingdom. Ces cocons urbains d’où émergent des papillons fanés élisent parfois leur domicile temporaire dans l’herbe grasse d’un parc où flottent, encore, les restants d’une partie de balle molle. Plus loin, au détour d’une ruelle qui se jette dans la rue Rouen, une odeur de bon tabac et des bonjours matinaux qui se traînent jusqu’en après-midi, rappellent la présence des sages du quartier, du haut de leurs tours mystiques de bois et de fer forgé, incrustés dans leurs chaises berçantes qui grincent en se mêlant aux miaulements des chats – ceux qui appartiennent à tout le monde et personne.

Les arômes de café frais ont laissé place aux odeurs de burgers ponctuées de quelques notes de houblon, de tintements de verres, de fourchettes et de couteaux tachés par des résidus de savon. En bifurquant vers le Nord mêlé de l’île, le parc Lafontaine s’ouvre sur des amoureux étendus échangeant lèvres et salive pour parler la même langue. Des enfants de veille de Rentrée s’égosillent une dernière fois sur les passerelles et sur le sable des modules de jeux, s’imaginant pirate, princesse, matelot ou perroquet, c’est selon, pendant qu’une bande d’adolescents ayant pour seul navire un banc de parc, utilisent leur longue-vue pour scruter la rondeur des seins d’une fille qui se fait griller sur la pente, près de la fontaine. Un accordéoniste laisse pleurer son instrument pour les saltimbanques du dimanche qui jonglent et corderaidisent. Dans une poche de quilles et de sacs de sables, on imagine aussi un hamac et son dormeur, dans l’ombre des feuillages.

En ayant passé le chemin de tant de guitares mal accordées, de fumeurs et de frimeurs étendues dans le soleil de l’après-midi, des cueilleurs de bouteilles à cinq sous et de policiers qui font leur ronde, on s’arrête devant la boutique de Chloé. Des chocolats!, lance-t-elle. Alors on se laisse tenter, on entre dans la chocolaterie et on en sort avec un sachet dont le contenu est à déguster lentement pour y saisir les nuances. Même qu’on s’arrête en les laissant fondre sur sa langue, comme c’est le cas lors des longues promenades qui poussent à la paresse d’accoster un banc de parc. La ville de chacun est miniature, toute contenue dans des habitudes ponctuées d’épices. Pistache, pâte d’amande, basilic, romarin, gingembre, piment d’Espelette, poivre de Sichuan…