Magda


Il suffit de squatter un des bancs publics du square, d’ouvrir les yeux, les oreilles et même le bout des doigts pour qu’il révèle son agitation dans le calme le plus parfait. Ça commence avec des marées de pigeons, une horde d’écureuils gris et le luxe d’un écureuil noir. Des hommes sans poil et une femme à moustache lisent les mêmes nouvelles dans des journaux différents tandis que des enfants, rougis par la brise de l’automne qui vient, courent dans tous les sens. Suivent des poussettes, puis des parents essoufflés qui par manque de forme ou d’esprit ludique, se refusent à courir.

Au centre du square, un Père Noël chauve qui laisse dans l’indifférence les gamins sprinteurs, tient majeur et index pointés vers la cime des arbres, fait des signes de croix à répétition en tournant autour du monument dédié à John Cabot. Après quatre tours il s’installe, jambes écartées et boxers à l’air sous son short rouge, près d’un citadin-bulle composé d’un iPod, de vêtements trop grands, de lunettes d’aviateur, d’un sandwich en bouche et d’un journal branché en mains. Des dizaines de travailleurs scotchés à leurs cellulaires, poussés dans le dos par les aiguilles de leur montre, se sont pressés devant moi pour s’engouffrer dans la bouche du métro Atwater.

Il y a ensuite eu Magda, armée de son sac de plastique biodégradable, qui s’est emparée d’une canette de Grolsch qui traînait sous mon banc d’accueil, s’exclamant tout sourire : « Ça, c’est vingt cennes! » avant de s’éloigner en faisant quelques pas calculés sur la pointe des pieds vers la poubelle, pour y secouer a canette – petit doigt en l’air merci – et de recommencer son numéro autour des autres bancs du square. Une voix, provenant d’une cabine téléphonique située derrière mon banc, s’est élevée. Un type à casquette s’est mis à engueuler le combiné de Bell en lui disant que s’il n’était pas sage, qu’il n’aurait pas ses deux trente sous en le traitant de la sorte. Au loin, Magda enjambait un dormeur en exhibant ses talents de ballerine. Le Père Noël, assis au pied du socle, grognait, les bras tendus vers un grelottant chien-saucisse.

En tendant la main vers mon café, j’ai réalisé qu’il n’était rien de moins que froid. Juste avant de quitter le parc, un ado, quatorze ans au plus, était plongé dans un bouquin. Jetant mon café dans une poubelle pas loin de son banc, je lui ai demandé ce qu’il lisait. C’est avec un grand sourire et un accent anglais qu’il m’a répondu : « Plato’s Republic. » Je me souviens qu’en rentrant à la maison, ce soir-là, j’ai pris des notes. Beaucoup de notes.