les noms perdus de la ville


Elle traînait ses vieux jours sur les trottoirs de la rue Ontario. Elle ne mendiait pas, ne se vendait pas non plus, mais passait en regardant les gens dans les yeux, pour savoir s’il leur restait au moins quelques poussières dans le creux du cœur. Son nom, personne ne le savait. C’était Flore ou Lorraine, Anne ou Lucie… Elle portait sur ses épaules tous les noms perdus de la ville.

Hier, c’était dimanche. Elle avait nettoyé son grand trench coat décati par la pluie et le soleil, rosi ses joues avec un reste de sachet de Heinz écrasé devant chez Lafleur. Dans ses orbites bleuis par la fatigue, il ne lui restait que des yeux gris aux notes d’amandes. Hier, c’était dimanche et, par coquetterie, elle a noué ses cheveux avec quelques morceaux de papier de toilette.

Des coups de klaxons, des feux rouges et verts. Des gamins qui hurlaient à pleins poumons – pour un rien – sur la place des Royaux. Une balle de baseball perdue sur un terrain de soccer. Je l’ai perdue de vue, celle que tout le monde et personne connaît.