cafés

J’étais donc entré entre les murs chantants du café, ce jour-là, après cinq ou six ruelles, deux rues et une librairie. La session venait de se terminer en me souffler des mots doux, des mots de paresse qui sentaient bon le chocolat chaud. La chaleur de la tasse, son île de crème fouettée – petit luxe de la journée – et la rumeur des Fêtes en accompagnement. J.-G. était là avec sa tête blanche et son nez fin, lisait son journal en laissant filer, entre ses lèvres molles et son dentier, des mots doux aux yeux bleus qui le côtoyaient.

J’étais maître de mon temps, véritablement, sans contrainte de travaux à remettre, sans courses à faire. Une journée pour me perdre dehors, dans toute la neige qui adoucissait le paysage de Montréal, qui venait se poser sur les langues de mes bottes et entre les lacets, le crounch caoutchouteux à chaque pas rattrapé. Les cuisses gelées. Puis j’avais abouti dans un café où les gens bavardaient à demi-mots, se racontaient les vacances à venir où les heures supplémentaires à faire, les petits malheurs d’Hélène mais aussi cette petite joie qui poussait doucement au creux de son ventre. Les sorties entre amis de la veille et le regard de ceux qui ne pourraient pas sortir puisqu’encore coincés entre deux essais à écrire – pour le lendemain.

Assis à côté d’une étagère remplie de paquets cadeaux : chocolat chaud, cidres, grains de café, tasses et soucoupes de toutes sortes, je me sentais un peu à l’étroit. Non pas cette étroitesse du lieu qui confine, mais celle qui permet de se blottir. Si la chaise où trônait mon postérieur gelé n’était pas confortable, l’entrelacement velouté des voix me faisait oublier ma condition de flâneur à l’arrêt. J’avais sorti de ma poche cette petite plaquette de Claudel, Le Café de l’Excelsior, pour m’oublier un peu, divaguer dans un autre café que celui où je me tenais.

Des rires me chatouillaient la nuque, ceux des employés qui eux sirotaient un court pendant une accalmie. Quelques bises, on se souhaitait de belles Fêtes, les meilleurs vœux. La santé, l’amour. On s’est même souhaité du temps et j’ai souri, me demandant comment on pouvait bien attraper un peu de temps en bouteille pour l’offrir à un être aimé. Il faut le faire, le temps, me disais-je. Le prendre et ne plus le laisser filer, le garder dans sa poche et y inscrire, quand ça nous prend, un mot ou deux, un croquis si on a la chance de n’être pas trop mauvais en dessin.

L’île de crème fouettée siégeait comme une reine sur mon café. On entrait en grelottant, par la porte qui donne sur les rues Saint-Denis et Maisonneuve, en laissant des parenthèses de gadoue sur le tapis imbibé d’eau et de gros sel. J’avais terminé mon croissant sans m’en apercevoir. J’ai rangé Claudel dans la poche de mon manteau, enfilé mon café. Laissé ma place à qui voulait bien la prendre. La neige tombait encore.