croquet

Préfontaine. Je profite de la dernière journée de l’été des Indiens pour me baigner dans le soleil. Dans le parc c’est un silence accompagné de quelques rires de fin des classes qui m’accueille. Quelques rayons un peu paresseux trottinent encore sur l’asphalte du sentier, constellé de flaques d’eau et de bouchons de bière. Un homme, bottes tachées de ciment, sieste sur l’un des bancs-barques accosté près de la barbotteuse – sa boîte à lunch métallique repose sur son bide. À ses côtés, une boîte de carton tachée de gras de volaille et de sauce. Ne restent que quelques frites qui se feront chiper par les écureuils.

Sur le terrain de baseball, un homme et son chien et son frisbee. À main gauche, deux ados partagent une cigarette au foin. Leurs pieds se balancent au-dessus de quelques tags, effleurent un graffiti-hommage à Hochelaga Kingdom. Je m’arrête près de l’aire de croquet – que je croyais jusqu’ici être destiné à la pétanque. Une boule d’aluminium échouée près d’un arceau. Le soleil la fait jouer entre ses doigts. Il y a quelque chose dans la forme qui… je m’approche. Au fond là-bas, au bord de la rue H., une tribu s’amène avec ses planches et ses roulettes, les casquettes à l’envers aussi. Je ris. C’est une poignée de porte. D’un gamin ou d’un vieillard, je ne sais qui l’a posée là, car elle semble bien avoir été posée, cette poignée. Je sors l’appareil photo en me disant que le moment est rare. Je devrai l’oublier un peu avant d’ouvrir sa porte, à l’aire de croquet – peut-être pour une nouvelle, sait-on.



Je reprends la marche. Un Thierry et sa m’man s’échangent une balle orange derrière l’aréna. C’est 4-0 déjà! La rue Winnipeg me tire la manche gauche. Dérive.

pas un chat

Le chat du 2202, c’est bien plus qu’un simple bibelot sur le bord d’une fenêtre. À tous les matins, en route vers le métro, c’est vers sa fenêtre que je regarde en espérant le voir. Complet noir, sur mesure parce qu’il a pris quelques plis depuis que nous nous sommes installés dans le quartier, J. et moi. Quelques taches de gris, ça et là.

Ce matin, il n’était pas là. Il faisait froid et j’étais bien, dans mon grand manteau, un peu vert tortue, un peu kiwi. J. et sa frange de cheveux fous, dans le vent. De l’autre côté de la rue, la brigadière emmitouflée a levé son stop pour nous saluer, avec cette façon hivernale de tourner la tête – le reste du corps suit le mouvement, de gauche à droite en s’inclinant un peu vers l’arrière.

Ça fait trois jours que je n’ai pas vu le chat.

dans la barbotteuse, une partie de soccer

Dans le wagon de métro, en route vers mon parc d’adoption, un enfant au regard d’adulte et la voix d’un homme-enfant qui raconte des histoires de rien : des écouteurs oubliés, des dettes entre amis, la fille du voisin. Et l’enfant, pas plus de neuf ans, un regard déjà cerné et sérieux, une bouche soudée à son foulard, un sac à dos, le dos courbé. Les mains tachées d’encre rouge et bleue, un peu de mauve aussi.

Préfontaine. Les portes s’ouvrent, me laissent couler sur le quai – encore accroché à ce regard écorché. Prends les escaliers, passe le tourniquet. Le plafond vitré qui coule, comme toujours, en plein milieu de l’escalier. Ai poussé la porte. Le sifflement du vent sous le manteau.

Les écureuils courent devant moi, paniqués par l’hiver qui se trouve à quelques pas d’ici. Des planchistes roulent leur bosse sans trop y croire, près des rampes. Des chuchotements derrière un arbre. Les rayons du soleil prennent dans les feuilles jaunes et tenaces, les nervures brunies.

Dans la barbotteuse, une partie de soccer. Quatre jeunes, moins couverts que moi, qui courent à s’époumoner. Faucher qui passe à gauche, déjoue Ti-Gus, tir bloqué par Le Gros, comme ils l’appellent. Contre la clôture, le commentateur sirote un jus de raisin.

quartier

« Quartier: petite terre d'appartenance et d'identité. Je suis du quartier. Il n,est pas du quartier. On vient d'arriver dans le quartier. C'est aussi, en quelque sorte, un quart de la vie. Un quart de notre vie. Comme si le lieu composait une part essentielle de notre temps, et presque de notre corps, de notre chair. »

-- Philippe Claudel (avec photographies de Richard Bato), Quartier, p. 15

mains

Rue Saint-Denis. À l’ombre du clocher de l’Université. Assis sur le plus haut degré de l’escalier, un jeune homme à casquette et manteau rouges où reposaient quelques poussières de joies passées.

Les deux mains au visage, maintenant. Traits tirés, dos voûté – des chaussures neuves qui devraient s’user un jour, mais qui à cet instant attendaient.

Je l’ai regardé longtemps, de mon côté de la rue, main dans la main avec cette soucieuse indifférence devant les choses. Une lenteur assumée partagée avec un brin de fatigue.

Le rouge qui tirait sur le gris. Sur son front ses mains se sont croisées, coudes aux genoux, le coin des lèvres en pleurs.