roulement

Ce matin, la rue était tendue comme une peau de tambour.

Mains dans les poches, feuilles craquantes sous les semelles molles. Le visage ridé de la brigadière.

échographie urbaine

quatre jours et des minutes

Un peu fatigué, l’air traînard. La journée de travail pèse sur les épaules comme une fine poussière, une qui n’appartient pas à la ville, ni à on ne sait quoi d’autre. On se dirige un peu plus au sud, un peu plus à l’est.

Le dormeur toujours étendu dans le gazon. Même coquille de vert qu'on avait trouvée au petit matin, humectant ses lèvres d’un café tiédi. À cette heure-ci il n’est plus qu’un grand corps absent, recroquevillé sur lui-même : les mains brisées d’usure, les pieds qui cherchent à fuir malgré le sommeil.

Les chiens habituels du parc. Un à poils ras, l’autre frisé, foulard rouge au collier – une chasse à l’écureuil. La dernière partie de balle de la journée pousse ses premiers ébats à notre droite.

Au-dessus des toits plats, le soleil tente une sieste qu’on sait timide. Une vieille femme aux vêtements usés, une langue de lumière qui se blottit dans les plis de l’étoffe. Le sourire aussi doux qu’un galet.

Le grincement des balançoires. Les coups de fouet des planches à roulettes. Bruit de chair sur l’asphalte – de minuscules cailloux gantés de rouge.

Balançoires, glissoires. C’est l’heure de souper, rentre. Dépêche! Ça va être froid. Des doigts gonflés d’arthrite qui, sous les confidences de la corde à linge, pincent une culotte de soie. La poulie et sa plainte mal huilée. Un string dans le vide aérien de la ruelle.

Un barbecue. Odeur de poulet et de steak qui se mêle aux premiers feux de bois. On se souvient de la première feuille d’or qui s’est roulée devant nous, ce matin.

*

Rouen, Dézéry, Darling. Les cris d’une enfant de porcelaine. On se surprend de voir une mère rire aux éclats, à travers la fenêtre double. Une bande d’ocre sur sa peau de bronze. Des rires encore, des mains dansantes dans l’air de septembre. Du blanc et de l’or.

de pas et de peu











Se permettre le silence, un temps.

évidemment, rien

Depuis quelques jours, très peu. Quelques notes qui traînassent dans le carnet, sur le bureau. Des coins d'enveloppe. Très peu, mais beaucoup en même temps. Ça couve en silence, un peu fatigué. En boule comme un chat malade.

Très peu, mais beaucoup de patience. Des mots qui se tirent la langue et d'autres qui s'échangent des poignées de mains, d'autres qui jouent à cache-cache - je devrais les trouver d'ici peu.

De la porcelaine. Mais aussi du bronze. Une dame en blanc dans le soleil siesteur. Un dormeur solitaire dans un grand manteau de vert. Parc Préfontaine. Ce soir une barbe de trois jours, un pull usé et le vent paniqué de la mi-septembre. Son sac de couchage aussi.

Quatre jours, quatre rencontres sur lesquelles passaient mon regard qui se voudrait absent. Quatre fois moi dans ce décor quotidien, utilitaire - et dans le texte il y aura, encore, une grande envie de s'effacer, de se laisser roupiller au creux d'une phrase pour y laisser paraître la ponctuation du parc. Quatre jours, quatre renontres et quatre fois moi, tous sur le même axe, même parc: nord-ouest, sud-est.

quand on cherche

Il y a quelques jours on me demandait, dans l'intimité de quatre murs bouclés d'une porte, si c'étaient les rencontres qui m'intéressaient quand je vais flâner. La question était si simple qu'elle m'a pris au dépourvu.

- Non, plutôt les choses...

Sur le coup, cela m'apparaissait juste. Mais je rencontre des gens, quand je marche, ces soirs où je décide de poursuivre les derniers rayons du soleil - coin Sherbrooke et Hogan. Je leur parle, mais seulement du regard. Maintenant, en fouinant dans ces textes laissés ici et là depuis un an, la réponse se révèle fausse. Si, les rencontres sont au coeur même de ce que j'écris, ces rencontres n'adviennent que dans l'écriture - je n'ai découvert l'importance de ces relations que tout dernièrement. Tant mieux, c'est au moins ça de fait.




*

Il y a quelques jours j'ai assisté à une belle scène, coin Dézéry et Rouen. Un rayon de soleil à travers une fenêtre, une bande de lumière sur une peau brune, les cris de joie d'un enfant. J'avais tous les mots pour l'écrire - l'écrire autrement, mais il manquait un mot pour tout lier. Porcelaine.

23h17 - 23h41

Ne plus se sentir. Ne plus être à soi tout à coup dans le silence et le demi-noir de la nuit.

*

Entendre la coulée de l’air sur les pales du ventilateur qui se coince dans la poussière du grillage.

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Entendre jusqu’au crépitement d’une bulle d’air dans un fil électrique.

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Le tic-tac de l’horloge dans la cuisine, le claquement de porte d’une voiture, le craquement des joints de plâtres dans les murs. L’automne qui s’en vient.

*

Les griffes d’un chien dans la ruelle. Le vent qui pousse contre la fenêtre.

*

Ne plus sentir son corps, seulement les couvertures et leur chaleur. Le froissement de la couette. Ne pas sentir le matelas ni l’oreiller – être soudain paniqué. L’angoisse de ne plus être à soi. Être dans la substance des choses.

*

Des plumes de plomb dans l’oreiller, une tête de plumes et vice-versa.

*

Une odeur de friture, aujourd’hui, en revenant dans le quartier.

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Ne plus (s)avoir sa peau. Masse de chair qui bat de cœurs multiples. Cœurs qui fondent, qui coulent dans les interstices du plancher.

*

Se lever lentement pour ne pas brusquer les mots.

rouilles II

Le frottement de la peau sur une rampe de fer.

On passait par là, l’air de rien, que soudain ça nous fait vibrer le tympan. Une main brisée par l’arthrite qui peine sur une rampe de fer – le frottement nous amène un goût de sang et de rouille dans la bouche, dans le nez… dans toute la tête.

La chair qui butte sur une aspérité, qui casse une écaille de peinture. Le bois humide qui se tord sous les pas. Une main attachée à des poumons essoufflés. Une rouillure poussiéreuse qui se détache de la rampe ou de la main.

Une voix rouge, bourgeonnante d’un mal noir – un gargouillement qui vient des pieds jusqu’au bout de la langue. Un « bonjour » deviné dans le frottement du matin.

Question de fatigue/question de chantier

Il y a quelques temps (le 5 juillet 2008 pour être précis), j’écrivais ceci à la suite d’un brouillard de mots : « La fatigue que je cherche est peut-être moins physique que textuelle et on se permettra de se laisser glisser doucement, de faire du texte l'espace faisant subir une fatigue (au sens mécanique) au matériau du monde. »

Étant retombé sur un Post-it qui me criait d’aller lire Sansot, au milieu de l’été, je me suis mis à le faire, notamment sa Poétique de la ville et plus récemment Du bon usage de la lenteur. C’est ici que ça devient intéressant – du moins, à mon sens. Voilà la citation, pages 40-41 en édition Rivages poche.

« Est-il juste d’écrire qu’avec mes camarades je flânais? La flânerie est souvent conçue comme une activité qui ne prête pas à conséquence et qui a pour seul effet de mettre un peu de rose aux joues de ceux qui s’y adonnent. Il est vrai que nous ne dérivions pas dans l’insouciance, qu’à la différence d’un voyageur pressé ou d’un travailleur, nous ne nous fixions pas de but, que le chemin parcouru, reconnu, importait plus que le terme dont nous n’avions pas une idée précise. Seulement, à la différence d’un flâneur frivole, nous avions le sentiment que nous vivions une aventure mémorable et que nous mettions en jeu une partie non négligeable de notre être. Notre légèreté n’excluait pas une certaine gravité.


Nous irions à l’extrême de nous-mêmes et nous l’éprouverions grâce à une fatigue librement consentie et saluée avec les égards qu’elle mériterait. Pour être tout à fait juste, il nous fallait aussi et surtout « fatiguer » la ville, non point par cruauté ou pour la prendre en défaut, mais pour qu’elle nous livre enfin son vrai visage, qu’elle refusait par ailleurs à la plupart de ses habitants ou de ses passants. »


En bref, un premier degré de fatigue qui solidifie et rend lumineux les instants vécus : une fatigue-mortier qui pourrait tout aussi bien s’apparenter à la lumière dont il est question chez Christian Bobin, moins les références religieuses. S’il y a religion, elle est bien pour soi et en soi (rappelons l’origine : relier). Dans le moment de l’écriture, la nécessité de « fatiguer » le moment vécu, souvent en milieu urbain en ce qui me concerne, pour le rendre véritablement accessible, le rendre lisible et lisant.

Fatiguer, tordre le moment vécu c’est aussi le risque (et je dirais ici la nécessité) de le rompre – risquer aussi une perte d’équilibre qui se rattrape constamment : c’est aussi faire le pari d’une marche et d’une dé-marche. Il faut opter pour une vision kaléidoscopique, un minimalisme, un impressionnisme.

une adresse, comme ça

Une affiche toute neuve devant une petite maison plâtrée et ridée a saisi mon attention tandis que mon père et moi roulions dans les rues malmenées du bled. Elle se lisait comme ceci : Le Domaine des aînés, 666 rue Dollard. La salle de quille, à quelques pas de là sur la rue Sauvé, me semblait plus rassurante.