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L’idée vous vient de frayer votre chemin à coups de coudes et à coups d’épaules, mais en voyant les mastodontes vomis de la gueule de la baleine mécanique, vous vous résignez à sortir Kerouac de votre sac, à vous diriger vers ce grand banc de plastique noir graffigné à force de fatigue et de culs traînards.

Lire, en attendant les prochains wagons, vous plonge dans un de ces espaces fatigués de la journée. Cette fatigue là vous apparaît souvent comme une façon de voir et de sentir. Ça vous plaît et ça vous colle à la peau des fesses. Pendant que Dean Moriarty s’occupe à ses multiples baisades, c’est le flot des gens, avec les relents de sueurs et de parfums incompatibles, qui vous lèche la peau.

Puis vient ce moment où tout devient gris, où les contours de béton se fondent à la chair des fonctionnaires, où l’acier se mêle au sang.

Ce moment où tout n’est qu’une grande montre molle vous coulant de la pupille.

Certaines formes émergent de temps à autres, se frayent un chemin entre le gris et les pages jaunies qui ont autrefois appartenues à un grand fumeur, clope sur clope 24/7. Des couleurs floues, puis des jupes, des souliers et leurs claquements, leurs couinements réglés au quart de tour. Le sourire vous prend parce que votre journée est terminée, cirée à force de jouer du clavier et de l’écran. Une bonne journée suivie d’une bonne fatigue, lumineuse et caressante.

Des mollets, des pâlots, des noirs, des bleutés en bas de nylon. Des souliers à talons hauts suivis de quelques Nova Club et River Land. Des Hush Puppies et des godasses. Un bonhomme soulève sa serviette par-dessus vos genoux et l’angoisse d’être devenu le décor vous prend.

On ne lit plus. Les wagons s’entassent dans la tranchée et on réintègre les rangs. Le service a repris sur la ligne verte.