en toute quiétude

Quelques jours de cela déjà. Je faisais mon tracé utilitaire vers les tunnels de la baleine bleue. Vient le moment où je dois me risquer dans le périlleux territoire du parc Postfontaine. Des enfants criaient, riaient, se balançaient dans leurs lianes imaginaires. Il fallait sauver Christy des griffes des impitoyables Jack et John. Quelques vieux, plus loin, jouaient au croquet. Plus loin encore les planches s'excitaient contre les rampes.

Un gamin d'à peine cinq ans s'est mis à regarder le sable, à le trouver magnifique peut-être, je ne sais pas - il ne faut surtout pas que je le sache. Je ne sais même plus si j'ai déjà pris le temps de regarder le sable pour ce qu'il était, avec ses variantes de beige et de gris, un sable à peau de sucre blanc ou de cassonade. Je me souviens seulement qu'à l'âge de huit ans, je regardais les feuilles de la cime des arbres en essayant de savoir si, oui ou non, c'était normal de voir des feuilles se mélanger avec le bleu du ciel. Je me souviens avoir eu peur de devenir aveugle quand les lettres du tableau, les lettres rondes et belles que Madame Line traçait si bien à la craie, ont commencé à s'effacer. Des peurs d'enfant.

Mes yeux donnaient déjà leurs propres coups de brosse. J'aimais beaucoup les craies de couleur, parce que même quand je pleurais, elles restaient un peu là, comme des nuages. Elles tachaient le tableau d'orange, de rouge et de bleu. À la fin de la journée, Joseph Leconcierge soupirait toujours un peu, mais lavait le tableau avec un sourire en disant que demain on pourrait le tacher encore. Ça me faisait sourire aussi.

Ce jour-là, dans le parc, quelque chose m'avait pincé le coin de la joue, comme ça, tout seul. Juste sous la peau j'avais le sentiment d'être heureux. Tarzan et Jane allaient ça et là dans leur jungle imaginaire, Christy avait été sauvée par Billy tandis qu'un autre avait eu l'idée de prendre une bouchée de sable. La bave et la boue dans les yeux. Assis sur un banc de parc, on déchirait les pages d'un livre - un livre que j'aurais peut-être aimé lire. Par jeu ou par tristesse, les avions de papier échouaient, encore et encore.

« Bonjour monsieur », qu'elle m'a lancé, une fois arrivée au bas de la glissoire. C'était une fillette un peu vaporeuse au visage lumineux, tout de suite remontée dans le module de jeu pour effectuer une nouvelle descente. Je ne dérangeais pas, mais je ne faisais pas partie de leur jungle. J'ai continué sur le sentier asphalté du parc. Pas longtemps, juste assez pour sentir le besoin d'arrêter. J'ai enlevé mes lunettes. C'était une petite chose, pas bien grande, mais un petit geste que je n'avais jamais fait. J'ai voulu voir l'absence des contours, pour une fois, sans angoisser. J'ai voulu voir les bourgeons fondre dans le ciel. J'ai voulu voir, en toute quiétude, mon usure. Avec le sourire.