like a walk in the park

Quelques mots gribouillés dans le calepin. Rarement plus. J’ai toujours si peur que la mémoire me fasse défaut.

Quand vient le temps de poser les doigts sur le clavier, les mots se font voiles. Le souffle prend et ça glisse, tout doucement près des rives de l’île.

Ce jour-là on déménageait, partout. On se décidait à migrer, par habitude, parce que les gens de l’île sont comme ça. Ils ne restent pas en place.

Je me disais, récemment, accompagné d’une tasse de café, que chaque forme du monde avait son souffle propre.

De la même manière je prête l’oreille ou je regarde dans l’attente d’une sensation, et soudain le sensible prend mon oreille ou mon regard, je livre une partie de mon corps, ou même mon corps tout entier à cette manière de vibrer et de remplir l’espace qu’est le bleu ou le rouge. – Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception

Devenir une voile et accueillir le souffle des choses.

Quand on passe de la dimension des événements à celle de l’expression, on change d’ordre mais on ne change pas de monde : les mêmes données qui étaient subies deviennent système signifiant. – Maurice Merleau-Ponty, La Prose du monde

Le texte est un voile translucide. Collé à la peau. Il attend la brise et espère la suivre.

Le bout des orteils dans l’herbe sec et tranchant. Un soleil d’acier. Une mouche en prière, agenouillée sur une citation d’Uedin. Des capsules d’Heineken entre les doigts gercés d’une racine.

Refusant de lire sur la forme et autour, je vois mieux. Une certaine nudité du regard.

Aller jusqu'à ne plus reconnaître ses formes.
– Jean-François Pirson, Aspérités en mouvements

Relever les yeux d’une page blanchie à la chaux. Les couleurs de l’humus viennent s’échouer sur la langue. Le détachement lointain du caoutchouc sur l’asphalte chaud.

Une gamine lance un frisbee. Un chien bâtard répond au nom de Cornelius. Le père fume une clope au pied d’un érable. Prêt à dégainer – c’est jour de western. Un pistolet à eau.

La voile bien nourrie déborde toujours d’elle-même.

On m’a dit un jour, je ne sais plus pourquoi sur le ton de la confidence, qu’il ne fallait jamais aller à contre-courant des vagues. Il faut nager de biais vers la rive.

Les mots ne sont pas les choses : ils sont l’espace habité des choses.

L’espace en soi tend toujours vers un lieu à découvrir. Le lieu, quant à lui, se rend disponible à la découverte, laisse circuler le souffle des choses. De cette tension naît le ravissement.

Il se peut bien que la fatigue n’ait été, dans le cas présent, qu’un autre nom pour l’insensibilité ou l’éloignement – mais pour le poids qui pesait sur les environs, c’était le mot qui convenait. – Peter Handke, Essai sur la fatigue

Dans la trouée du feuillage qui nous abritait, des vagues de lumière dansaient sur l’herbe abandonnée du parc. Des doigts se sont mis à danser avec les brins d’herbe – des valses et des tangos. Des lames de chaleur soudaines sur le dos des mains, perdues dans les odeurs d’humus. Des cris joyeux provenant de la barbotteuse. Une bicyclette aux roues grinçantes accompagnée de sandales à lanières de cuir. Des boucles d’argent et des semelles molles. Une jupe fleurie.

Les ailes d’une mouche claquent sur la pointe d’un cheveu.