question de dialogue

Fait des mois je suis à la recherche de la langue de la ville, celle qui m’invite à répondre, à converser avec elle – cette langue qui me fait lui murmurer des mots doux, parfois. Je cherche cette langue qui s’accordera avec la mienne, peut-être trop muette ou simplement timide pour le moment, et qui pourra me faire remonter le fil d’un trottoir, d’une ruelle, ou encore les sentiers d’un parc familier, et qui saura me rendre la clarté du jour un peu plus lumineuse, les ombres un peu plus grises. […]

Mais entre toi et moi, pauvre ville maintenant grise de dégel, je crois qu’il y a eu un froid. Tu as sorti tes obligations de ta poche, les as glissées sous les semelles et je me suis mis à coller comme une andouillette dans une poêle surchauffé. Peu ou pas de marche, et du coup peu ou pas de texte pour recoller mon espace, puis des nuits un peu paranos à me demander si ta langue, pauvre ville, n’était plus que des espaces blancs entre des mots que je ne voyais plus. Et pourtant je devrais me réjouir de ces espaces, s’il en est, puisque j’aurais tout le loisir d’y jouer et d’y explorer les pleins et les creux de ma langue sans même me soucier de ton asphalte… mais il me faut ta langue, ma pauvre ville, pour attester la mienne et l’engraisser, pour que vienne sur la page cette voix d’argile qui se façonne et qui sèche pour se briser des mois plus tard. […]

Je t’ai tourné le dos vendredi pour m’enfoncer le nez dans la neige et dans la glace. J’ai vu des petites bourgades le long de la frontière – des qui sentaient l’abandon, d’autres le patriotisme et la manufacture – des stations à essence en panne de dérivés de pétrole. Quand je suis revenu, tu t’es montrée à travers la fenêtre embuée de la voiture, non pas plus belle, mais simplement vivante. Tu avais le pouls silencieux dans ton nuage de blanc, mais tu étais là. Lumineuse dans ton voile de gris, pour la première fois depuis longtemps. […]